Les contradictions théologiques et philosophiques du suicide assisté

Dans son autobiographie, Hans Küng revendique le droit à mourir dignement en y incluant le droit au suicide assisté. Son argumentation théologique se base sur une certaine conception de la responsabilité que Dieu a déléguée à l’être humain en le créant libre. Il propose même une interprétation de la mort par suicide comme un acte de responsabilité chrétienne d’une vie donnée, offerte à Dieu. En passant, il ajoute à son raisonnement le thème de la compassion. Il relativise, sans en nier toute sa valeur, l’importance des cures palliatives qui lui semblent être une réponse trop faible devant la situation de la maladie terminale.  Pour appuyer sa thèse, il se sert de différentes enquêtes sociologiques réalisées en Allemagne qui montrent un désir croissant de liberté en matière du suicide assisté. Enfin, il lance un anathème vers les partis politiques, les organisations et  l’Eglise catholique qui se permettent de prendre une décision à la place de la conscience d’autrui. De manière sarcastique, il propose à l’Eglise d’offrir quelque chose de plus que le sacrement des malades : l’aide au suicide.

Que penser de ce plaidoyer en faveur de l’aide à mourir par le suicide assisté ? A l’auteur de Pour une éthique des religions universelles, on doit tout d’abord poser la question s’il n’oublie pas son interprétation de la liberté humaine le principe commun à toutes les religions de la sacralité de la vie qui empêche de considérer le suicide comme un bien pour l’homme et pour l’humanité. D’un point de vue chrétien, la seigneurie de l’homme conférée par Dieu dans les récits bibliques de la création ne permet pas une herméneutique de la responsabilité qui allie jusqu’au suicide. D’ailleurs, la majorité des exégètes ne proposent pas la vision qui est celle de H. Küng. L’interprétation de la mort comme une forme d’acte eucharistique ne tient pas compte d’une christologie filiale selon laquelle la liberté du Christ-Fils est remise au Père, en s’abandonnant dans un acte de désappropriation de soi et non en s’éliminant, en supprimant les fondements même de la liberté. D’un point de vue philosophique, le soi-disant droit à mourir considéré comme l’expression de la liberté et de l’autonomie humaine mérite une réflexion plus approfondie que ne le fait Hans Küng. La pensée philosophique de Hans Jonas et son modèle d’éthique de la responsabilité ne doit pas être sous-évaluée. De même, le principe d’indisponibilité de la vie comme garantie de la démocratie dans une société libérale du philosophe Hans Jürgen Habermas n’est pas moins significatif pour la question de la vie et de sa valeur intangible. La pensée de Kant qui, plus qu’aucun autre auteur de l’époque moderne, a valorisé l’autonomie morale de la personne, montre elle aussi la contradiction interne d’un droit au suicide. On ne peut également passer sous silence l’idée de la pente glissante selon laquelle le « soi-disant-droit au suicide » risque de devenir un devoir dans une société individualiste et calculatrice selon la logique du coût – bénéfice. On ne peut revendiquer un « droit » de manière non relationnelle en oubliant les conséquences sur la vie des autres.

Il s’agit bien entendu de refuser l’acharnement thérapeutique, mais aussi l’abandon thérapeutique. Nous pensons que le développement des soins palliatifs soit au contraire la réponse la plus juste et la plus humaine quoi qu’en pense Hans Küng. Elle ne fragilise pas dans la société la conscience du principe d’indisponibilité de la vie. Elle évite de créer une culture qui pousserait à la mort les personnes qui n’ont plus de valeurs économiques, ou qui sont des plus faibles. Elle est la réponse la plus équilibrée qui tient compte des différents facteurs d’une éthique sociale correcte.

Tout en respectant la liberté d’opinion et en reconnaissant la valeur subjective du témoignage du Prof. Hans Küng ainsi que sa bonne intention en proposant une solution au difficile problème de la maladie terminale, on doit donc souligner un certain nombre d’incohérences théologiques et anthropologiques de son plaidoyer en faveur du suicide assisté.

A.-M. Jerumanis